Luc Leblanc, champion du monde sur route 1994, revient sur le Tour de France et les Jeux Olympiques

Bonjour Monsieur Leblanc,


Qu’avez-vous pensé de la prestation de l’équipe France sur cyclisme en route aux JO ?
C’était une très bonne surprise ! On savait que nous avions les coureurs pour remporter une
médaille, mais de là à monter sur le podium avec la médaille de bronze et l’argent en sachant
qu’Evenepoel était inatteignable sur cette journée, c’est une très bonne surprise. Je pense que
le sélectionneur Thomas Voeckler a vraiment misé dans le mille. L’équipe de France a fait
une énorme course dans une ambiance de folie. En tout cas, j’aurais aimé faire les jeux avec
ce public-là, rouler devant cinq cent mille personnes, cela devait être quelque chose
d’incroyable.


Qu’avez-vous pensé de la stratégie de l’équipe de France sur cette course ?
Nous faisions partie des favoris avec Madouas, Laporte et Alaphilippe. C’était un circuit
similaire aux classiques belges. Après au niveau de la stratégie, nous avons très bien joué le
coup avec Madouas devant et Laporte qui fermait « la porte », qui déjouait un peu les actions
des autres qui étaient en contre derrière. La stratégie d’équipe était vraiment à la perfection ce
jour-là.


Qu’avez vous pensé du tracé du parcours de cyclisme sur route sur Paris ?
Je n’y étais pas. Nous pouvons nous faire une véritable opinion en le regardant à la télé, mais
ce n’est pas la même chose que de le faire sur le vélo. Par rapport à ce que j’ai vu, la montée
de Montmartre avait l’air très dure et très dense, surtout après 250kms parcourus. Cela me fait
penser un peu aux classiques belges, avec leurs routes pas très larges et leurs montées assez
rudes en fin de course. Il fallait vraiment le voir dans la voiture ou sur le vélo pour se faire
une véritable idée de la difficulté du circuit. Mais par rapport à ce que j’ai vu, le parcours était
vraiment sélectif.

Est-ce que ce parcours doit être réutilisé pour la dernière étape du Tour de France ?
Oui, pourquoi pas. Pour le final du Tour de France, il ne se passe pas grand-chose sauf sur les
Champs Elysées donc pourquoi pas mettre un prix de la montagne à Montmartre pour
départager les grimpeurs. Cela pourrait être spectaculaire, mais oui bien sûr que cela pourrait
se faire dans le futur.


Qu’avez-vous pensé du dernier Tour de France ?
Pour y avoir été, cela a été un super Tour. Il y a vraiment eu la bagarre qu’on attendait, même
si malheureusement Vingegaard était un ton en dessous par rapport à l’année dernière. Être
arrivé deuxième du tour après la chute qu’il a eu il y a plusieurs mois, c’est une très bonne
performance. Il s’est quand même bien entrainé, il a fait tout ce qu’il a pu mais il n’était
quand même pas au même niveau de 2023. Pogacar a quant à lui complétement dominé le
Tour. Personnellement ce que je retiens, c’est la performance d’Evenepoel qui a fait un super
tour en le gérant très bien, il n’a jamais paniqué et a finit sur le podium sans être un pur
grimpeur ce qui est une superbe performance. Il a manqué un quatrième coureur qui aurait pu
rivaliser avec Pogacar et Vingegaard pour la gagne pour apporter plus de suspense. J’espère
que l’année prochaine Pogacar et Vingegaard seront au top avec une plus grosse bagarre.


Nous n’avons pas trop vu Van der Poel sur ce tour
Van der Poel n’est pas un homme de Tour, il aurait pu gagner le maillot vert mais il s’est
concentré sur son sprinter. Il a travaillé pour son leader, pour les sprints, pour essayer de
gagner le maillot vert pour Philipsen mais malheureusement l’objectif n’a pas été atteint. Il a
essayé à un moment donné de gagner des étapes mais il a été trop juste physiquement. Il s’est
concentré sur les Jeux. Mais vu son état de forme au Tour de France, cela ne m’étonne pas
qu’il soit passé à travers pour les Jeux. Je pense qu’il n’a pas fait la préparation qu’il aurait du faire et il aurait été préférable d’arrêter le Tour au bout de 15 jours et non le faire jusqu’au
bout.

Quel est selon vous le meilleur moment de votre carrière ?
J’en ai eu plusieurs mais le meilleur moment c’était mon titre de champion de Monde. Pour
les sportifs de hauts niveaux dans d’autres sports comme au ping-pong ou l’athlétisme, les
jeux représentent une part importante dans une carrière. Alors que pour nous les cyclistes, à
l’époque, c’était moins important, qu’un titre de champion du monde qui représentait
vraiment le Graal dans notre carrière. Même si cela a changé un peu aujourd’hui avec
Madouas et Evenepoel. Pour moi, le Graal bien sûr, c’est le championnat du monde.


Quel est la différence de sentiment entre porter le maillot de champion du monde et le
maillot jaune ?

On ne peut pas faire de différence entre ces deux maillots, ce n’est pas possible. Ce sont deux
courses complétement différentes et des maillots très différents. Il n’y a pas de rivalité entre
un maillot arc-en-ciel et un maillot jaune. Le maillot de champion du monde est le summum
du cyclisme professionnel. On n’est pas nombreux à être champion du monde alors que le
maillot jaune c’est différent, c’était probablement aussi un des meilleurs moments de ma vie.
Quelle a été la course la plus dure à laquelle vous avez participé ?
J’en ai fait beaucoup mais les courses les plus dures, ce sont les grands tours qui durent trois
semaines comme le Giro, la Vuelta ou le Tour de France. Ce sont des courses d’endurance où
il y a toujours des hauts et des bas. Il faut se remettre en question quand le physique ne répond
pas. C’est une question de gestion physique et psychologique.


Comment voyez-vous l’évolution du cyclisme depuis vos débuts ?
Au niveau des vélos déjà, tout a évolué puis il y a les capteurs de puissances, les oreillettes
mais aussi la technologie au niveau du vélo avec les roues, les freins à disques, les vitesses
électriques. Après, il y a des pours et des contres, par exemple je suis contre les oreillettes et
les capteurs de puissances. Je trouve que l’évolution va peut-être un peu trop vite à mon goût
et les coureurs ne ressentent plus les mêmes sensations que nous pouvions ressentir à
l’époque. Il y a un tas de choses qui ont changé, je ne dis pas que tout est mal mais tout n’est
pas bien non plus. Il n’y a pas la même stratégie de course aujourd’hui qu’à l’époque. Ceci
dit, depuis plusieurs années, on retrouve le cyclisme de mon époque.
Au Jeux Olympiques, nous avons vu un petit changement avec le retrait des oreillettes
Cela change complétement la course ! Au niveau des attaques et des stratégies, cela n’a plus
rien à voir, c’est pour cela que parfois on devrait se poser la question et faire des tests sur les
grands tours, ne serait-ce qu’un test d’une dizaine de jours sans oreillettes et capteurs de
puissances pour voir comme cela évolue. Nous voyons tout de suite l’effet au niveau des Jeux
Olympiques et des Championnats du monde sur la course. Il y a beaucoup plus de courses,
d’attaques et de mouvements.


Pensez-vous que les oreillettes sont la cause des chutes ?
Pour moi, les oreillettes jouent un grand rôle dans ces accidents. A l’époque, il y avait des
chutes mais pas autant que maintenant. Depuis qu’il y a des oreillettes, dans le final tout le
monde veut être devant, les managers parlent dans les oreillettes pour le placement en fin de
course. Il n’y a plus la concentration des coureurs sur les points dangereux alors qu’à l’époque
on annonçait les dangers dans le peloton qu’on ne voyait pas forcément sur la route. Les
coureurs ne sont plus dedans à un moment donné. D’ailleurs Bernard Hinault le dit lui-même
que les oreillettes jouent un grand rôle dans les chutes.

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire ce livre à ce moment-là de votre vie ?
C’est mon frère qui m’a poussé à l’écrire puisque personne ne connaissait mon parcours, mon
accident, tout ce que j’ai un peu subi dans ma carrière au niveau de ma jambe. Il m’a dit il y a
deux ans et demi qu’il était peut-être temps d’écrire mon parcours personnel avant, pendant et
après ma carrière. Il y a des personnes qui m’ont suivi pendant toute ma carrière qui ne
savaient pas du tout à quel point j’avais un problème à la jambe. Cela a permis de remettre les
pendules à l’heure et de pouvoir vraiment expliquer ma souffrance sur le vélo. L’histoire a
beaucoup et à ma grande surprise le livre a été numéro 1 des ventes en France pendant
plusieurs mois.


Vu votre handicap, vous avez un très beau palmarès et à quel point c’était pénalisant
C’était plus que pénalisant c’est sûr ! Il y a le titre de champion monde mais il y a d’autres
courses que j’ai gagné. J’ai gagné presque une quarantaine de courses mais j’aurais pu en
gagner beaucoup plus si je n’avais pas eu cet handicap, notamment Liège-Bastogne-Liège ou
la Flèche Wallonne ou encore le Grand prix des Amériques au Canada. J’ai raté beaucoup de
courses puisque ma jambe ne fonctionnait parfois plus en fin de course. Parfois e n’étais plus
que sur une jambe, la jambe gauche ne répondait plus comme sur la Flèche Wallonne avec
Jalabert dans le Mur de Huy, pareil quelques jours après sur Liège-Bastogne-Liège dans la
Redoute où je pouvais suivre Jalabert et Bartoli. J’ai quand même pu faire 2ème de la Flèche
Wallonne, 4ème de Liège-Bastogne-Liège avec une jambe à moitié en vrac. C’est la même
chose pour les grands tours, j’aurais pu gagner au moins un Tour de France, j’en suis
convaincu, après voilà c’est mon parcours de vie et ce que j’ai fait avec ce handicap, c’est
plus qu’une grande fierté pour moi. Cela montre que dans la vie malgré tout ce que l’on a pu
avoir dans notre parcours, on peut surmonter les obstacles et se dire qu’avec la foi, l’envie et
le dépassement de soi, on peut y arriver. Même s’il y avait des moqueries pendant ma carrière
parce que j’étais de travers sur le vélo, cela ne m’a pas empêché de faire des choses
incroyables que peu de monde aurait pu faire avec ce handicap. C’est aussi une question de
volonté.

Merci beaucoup pour l’interview !