« Sans doute que 1982 est symbolique d’un changement d’échelle du football français », François Da Rocha Carneiro nous partage l’histoire de l’équipe de France
François Da Rocha Carneiro est historien et professeur d’histoire géographie au lycée de Jean Moulin à Roubaix. Depuis 2012, il enseigne l’Histoire du Sport et des Activités Physiques à l’Université d’Artois. Et depuis 2021, il est chercheur associé au laboratoire CREHS. Il fait également des apparitions sur France Inter lors d’émissions liées au football.
Spécialiste de l’équipe de France, il a publié en 2020 « Les Bleus et la Coupe : de Kopa à Mbappé », puis en 2022, « Une Histoire de France en crampons » qui retrace les plus grands moments de l’histoire avec l’équipe de France.
Comment vous est venu l’idée d’écrire le livre « Une histoire de France en crampons » ?
Je suis spécialiste de l’équipe de France de football et à force de travailler sur l’équipe de France, j’ai pu comprendre que les matchs pouvaient apparaître comme des documents d’histoire et bien plus que du sport. Il m’est venu l’idée d’essayer de raconter une histoire de France à partir des matchs de foot de l’équipe nationale. J’en ai discuté avec mon éditeur et on est arrivé à construire une histoire autour de quatre thèmes, en choisissant quelques matchs qui pouvaient bien coller.
Comment avez-vous fait pour récupérer tous les documents depuis la création de l’équipe de France ?
Comme tout historien, on croise nos sources, c’est-à-dire qu’on utilise plusieurs types de sources pour arriver à une vérité possible. J’utilise des sources variées : pour les matchs les plus anciens, je dois me contenter de la presse écrite. Dans ce cas-là, il faut varier le type de presse, il y a pleins de journaux qui peuvent être utiles. Parfois, les témoignages d’anciens joueurs ou de la famille d’anciens joueurs sont également nécessaires car ils peuvent faire remonter un souvenir ou une trace qu’ils possèdent. Pour les matchs les plus récents, il y a les récits ou les retransmissions radiophoniques ou télévisuelles que l’on peut facilement retrouver sur Internet. L’idéal aurait été que je sois présent dans les stades pour quelques matchs, mais cela n’a pas été le cas pour ceux que j’ai retenus. Il faut vraiment varier ses sources. Par exemple lorsque j’utilise des sources télévisuelles, je dois bien sûr les croiser avec des récits et avec la presse écrite.
Quels sont les plus grands moments de l’histoire de l’équipe de France selon vous ?
Probablement les Coupes du Monde victorieuses en 1998 et 2018 parce que cela a enrichit le palmarès et a permis à l’équipe de France d’entrer dans le panthéon des équipes nationales. Aujourd’hui c’est sûrement la meilleure équipe du monde sur les 25 dernières années. Puis il y a d’autres matchs et notamment celui de Séville en 1982, perdu contre l’Allemagne, qui permet à l’équipe de France de basculer d’une équipe de seconde zone au statut d’équipe capable de gagner. On va le montrer 2 ans plus tard en 1984 puis en 1986 où on fait encore un bon parcours. En 1958, cela a été un épiphénomène alors qu’en en 1982 c’est vraiment le démarrage de quelque chose qui va perdurer. En 1990 et 1994, on ne se qualifie pas et c’est réellement un échec. En revanche en 1998 alors que la France organise la Coupe du Monde, on remporte ce titre qui est vraiment dans la continuité de 1982.
Comment mêlez vos deux passions, l’histoire et le foot au quotidien ?
Très facilement, je suis historien tous les jours, 24 heures sur 24, c’est mon identité non seulement professionnelle mais c’est mon état. Par ailleurs, je suis spécialiste de l’histoire du football donc je multiplie les regards. Dès que je prépare les cours, j’ai un match très souvent en arrière-fond visuel.
Pour vous, quel a été le match le plus symbolique de l’histoire de l’équipe de France ?
Je pense que 1982 a été vraiment un tournant parce qu’on est passé de l’équipe qui était condamnée à perdre à une équipe qui était en mesure de gagner. Par exemple, très souvent dans les années 70, on disait que la France était « championne du monde des matchs amicaux ». En 1982, on se rend compte qu’elle peut être autre chose, LA championne du monde ou LA championne d’Europe, ce qui jusqu’alors n’était pas envisageable. L’autre tournant, plus profond, est celui de la médiatisation dans les années 1970. De plus en plus de français ont un poste télé couleur et nombreux sont ceux qui commencent à avoir des magnétoscopes pour enregistrer les matchs. Il y a une popularisation du football par la médiatisation, mais aussi par le biais du succès de l’AS Saint-Etienne, qui, dans les années 70, commet des parcours européens excellents jusqu’à arriver en finale. Il y a aussi une concordance avec le début de la formation du métier de footballeur dans ces années. Jusque-là le football était professionnel mais ce n’était pas un métier pour lequel on était formé. A partir des années 70, il y a une charte du football professionnel avec une convention collective qui prévoit tout un circuit de formations pour les footballeurs et tout un circuit de reconversions possibles également. Sans doute que 1982 est symbolique d’un changement d’échelle du football français et d’un tournant à l’échelle internationale, avec la possibilité pour le football français de gagner un titre.
Quelle a été votre plus grande découverte sur l’équipe de France en écrivant votre livre ?
Je ne sais pas si c’est une découverte mais je retiendrai le match de 1933. L’équipe de France se déplace en Allemagne à Berlin, le nazisme vient juste d’arriver au pouvoir avec Hitler. Quelques semaines avant, le Reichstag vient d’être incendié et les récits qu’en font les journalistes français sont des récits folkloriques. On n’a pas encore compris ce qui était en train de s’installer en Allemagne. On a un regard presque amusé, attendrissant, de touristes. Ce n’est pas une découverte parce que d’autres avant moi ont pu travailler sur le nazisme et ont compris, grâce à cette chronologie fine, que le nazisme n’a pas été immédiatement vu pour ce qu’il était. Le fait de revenir à cette chronologie fine montre que tout ne se fait pas en un jour. Je pense que pour cela, c’est un match intéressant.
Comment expliquez-vous qu’après la 3ème place en 1958 de l’équipe de France, on a dû attendre 1982 pour voir une performance similaire ?
L’erreur c’est 1958, ce ne sont pas les années qui suivent. En 1958 on est sur la lancée de 1954, la presse s’était déchaînée sur l’équipe du France puisqu’elle était basée à Divonne en Suisse en disant que c’est la « Divonne Comédie » où les joueurs ne s’entraînent pas… En 1958, voici le miracle. Une des raisons est peut-être la distance puisqu’on est en Suède, loin de la France. Il y a moins d’envoyés spéciaux, moins de pression médiatique. L’équipe de France fait un formidable parcours et tombe face au Brésil de Pelé en demi-finale. Ce n’était pas l’état normal des choses. L’état normal c’est 1950 quand on n’est pas allé au Brésil car on craignait de se faire laminer. La raison officielle était la distance, mais la raison officieuse est qu’on craignait le niveau puisqu’on s’était qualifié sur tapis vert. En 1962, on n’est pas qualifié, en 1966 on échoue puisqu’il y a des entraîneurs qui ne savent pas comment faire jouer l’équipe. Il y a un coup d’état au troisième match car les joueurs veulent jouer comme ils l’entendent et non pas selon la volonté de l’entraîneur. Du coup, 1958 parait comme une exception qui cache cette forêt malade du football français qui n’est pas en forme.
Pourquoi la France, créatrice de la Coupe du Monde a eu des performances médiocres de 1930 à 1958 ?
Pour la création de la Coupe du Monde, c’était Jules Rimet qui voulait se détacher du comité olympique puisqu’il ne voulait pas faire jouer de footballeurs professionnels aux jeux olympiques. Or, le football devenait professionnel dans la plupart des pays en Europe. La FIFA a décidé de créer son propre tournoi en 1928, qui se joue pour la première fois en 1930 en Uruguay. La France se retrouve un peu obligée de participer à la Coupe du Monde 1930 pour ne pas désavouer son président.
Une des raisons de la non-réussite de la France pendant une longue période pourrait être sa lenteur à construire le métier de footballeur. On l’a vu en 1932 avec l’autorisation officielle de la professionnalisation du métier de footballeur en France et la création du championnat français. La création de la convention collective est également un tournant en 1970. Le troisième tournant est celui de l’arrêt Bosman en 1995 qui permet à tout club européen d’employer autant de joueurs européens qu’il le désire. Cela ouvre véritablement les portes des championnats européens aux footballeurs français. Alors qu’il n’y avait que quelques joueurs français évoluant dans d’autres championnats avant 95, ils deviennent majoritaires à partir de 1996. Cela les confronte à une autre culture du métier. Ce sont des installations sur un temps long. Cela étant dit, il y a beaucoup de pays où le métier est bien installé mais qui n’ont eu aucun titre mondial ou ne sont jamais allés en finale. Je pense au Portugal qui n’est jamais allé en finale de Coupe du Monde ou à l’Espagne qui n’a qu’un titre mondial. Les Pays-Bas n’ont pas de titre mondial alors que ce c’est une des très grandes puissances du football. L’Angleterre n’a eu qu’un seul titre en 1966. Finalement on n’est pas à plaindre. Aujourd’hui, au contraire, on est la meilleure équipe de ce siècle ; on n’a jamais perdu une finale de Coupe du Monde [NDLR : durant le temps de jeu], les deux ont été perdues aux tirs aux buts.
Comment expliquez-vous que le Brésil a eu du succès très tôt ?
Ils n’ont pas eu beaucoup de réussite très tôt. En 1950, lorsque le Brésil organise la Coupe du Monde, ils sont battus. Cela est un véritable traumatisme pour le Brésil. Après, en 1958, il y a une grande équipe dans laquelle un joueur se révèle, Pelé. Le Brésil y parvient puisqu’il y a une véritable culture du football dans le pays, ce que l’on a peut-être moins. On voit aussi peut-être moins d’enfants jouer au ballon en France. Il n’y a pas de facteurs explicatifs majeurs. Sans doute aussi qu’au Brésil pour réussir, le football apparaît comme une voie possible. En France cela fait partie des voies possibles seulement pour une partie populaire de la population, sauf exception. Lorsqu’un enfant a comme dessein de devenir footballeur professionnel, cela va être audible pour une partie populaire mais pour des catégories sociales qui misent sur des diplômes, c’est différent. On a quelques enfants de milieux sociaux favorisés mais relativement peu sur l’ensemble de masse des footballeurs professionnels. L’immense majorité vient des milieux populaires. C’est peut-être ce qu’il faut comprendre dans la réussite brésilienne ou argentine.
Avez-vous eu un coup de cœur sur une équipe dans votre enfance ?
J’étais supporter de l’équipe de France et j’aimais bien le FC Nantes qui était une des équipes qui comptaient à l’époque. J’avais un petit coup de cœur pour le FC Nantes et pour des joueurs que j’appréciais beaucoup plus que d’autres.
Quel est votre joueur préféré ?
J’en ai beaucoup, je garde une tendresse pour Jean-Paul Bertrand Demanes, le gardien du FC Nantes qui se blesse au dos lors du match contre l’Argentine en 1978 en Coupe du Monde. J’ai une faiblesse pour Zacharie Baton, gardien de l’Olympique Lillois, qui était sélectionné de 1906 à 1908 et que personne ne connait. J’ai un coup de cœur pour lui puisque pendant la première guerre mondiale, il a été amputé du bras gauche. Il est mort à la suite de ses blessures en 1925 pour la France. Il y a pleins de joueurs pour qui j’ai une certaine tendresse, plus particulièrement des arrières centraux ou des demi-défensifs comme Varane, Benjamin Pavard qui est du Nord et que j’ai vu débuté en tant que supporter lillois. Je suis attaché aux 900 joueurs de l’équipe de France, même ceux que je n’ai pas aimés voir jouer.
Qu’avez-vous pensé de ce groupe de l’équipe de France par rapport à la génération Zidane et Platini ?
Je me méfie beaucoup des comparaisons, ce sont différentes époques, d’autres façons de jouer, d’autres nécessités, d’autres gestions de groupe, des niveaux différents. Didier Deschamps a réalisé quelque chose d’extraordinaire, il a réussi à créer un groupe cohérent qui a su concourir pendant cette compétition de façon surprenante pour les non-spécialistes mais performante pour les spécialistes. Cela a été vraiment un beau parcours, étant donné qu’on a été privé de quelques joueurs clés, ce qui n’était pas forcément une mauvaise chose. Ce qu’il arrive à faire, c’est gérer un groupe. C’est peut-être sur cet aspect que la comparaison avec 98 peut se faire : on a deux sélectionneurs qui misent sur la vie de groupe, peut-être plus que sur la réussite individuelle.