« Un match de football, c’est une pièce de théâtre. Il doit y avoir de la dramaturgie », Jean-Michel Larqué revient sur sa carrière
Jean Michel Larqué est un ancien footballeur professionnel et un commentateur sportif français. Il a joué pour des clubs tels que l’AS Saint-Étienne, le PSG et le RC Paris, avant de devenir consultant pour Antenne 2, M6, TF1 puis RMC. Il a réussi à atteindre la finale de la Ligue des Champions en 1976 contre le Bayern Munich, a remporté 7 fois le championnat français et 3 fois la Coupe de France. Il a commenté les matchs de l’équipe de France de 1982 à 2010. Il est considéré comme l’un des commentateurs les plus influents en France et est reconnu pour son style décalé et humoristique.
Bonjour Monsieur Larqué,
Comment est née votre passion pour le foot ?
Pour le football, cela a était très simple puisque je suis né quasiment sur un terrain de foot : ma grand-mère était concierge dans un petit stade qui s’appelait le stade de Five de Pau, tous les Larqué ont joué, y compris mon père et ses frères, mes cousins et enfin mon frère. Le stade était depuis ma grand-mère le berceau de la famille Larqué. On y passait toutes nos vacances et nos jeudis puisqu’à l’époque c’était le jour d’interruption dans la semaine mais également tous les week-ends. On était tous très impliqués dans la vie du club. Le football m’est donc venu naturellement, sachant que j’ai commencé à suivre des entraînements à 5-6 ans. A l’époque les licences ne démarraient qu’à partir de minimes, c’est-à-dire à partir de 13 ans. Pendant 8 ans, je me suis entraîné sans jamais jouer, sans avoir une licence. J’ai toujours été dans le sérail du football amateur à Pau, au milieu du rugby.
Quels sports pratiquiez-vous avant vos 13 ans ?
J’aimais beaucoup le sport et j’étais très sportif ; je jouais au tennis, un peu au rugby, à la pelote basque et j’ai fait évidemment beaucoup de vélo. Mais, le football était ma passion, le reste c’était pour de pratiquer du sport. Comme le football était collectif, d’autres sports restaient plus simples à pratiquer. Par exemple, il fallait être tout seul pour le vélo ou à deux avec le tennis, c’était beaucoup plus simple. Toutefois, le football restait le sport leader. C’était naturel de jouer au football comme mon père, mon oncle ou encore mes cousins l’ont fait. On était dans l’ambiance, dans la mouvante, on suivait l’hérédité et l’exemple de la famille.
Vous avez joué avec la grande équipe de l’AS Saint-Etienne dans les années 70, quel regard portez-vous sur cette équipe aujourd’hui ?
Pour revenir sur mon aventure avec l’ASSE, on se rend compte aujourd’hui que c’était avant tout des aventures collectives, c’est le football qui nous y a amené un peu par hasard. Si tout le monde connaissait la recette concernant la solidarité, l’unité et l’altruisme dans une équipe, tout le monde l’appliquerait et tout le monde serait premier et il n’y aurait aucun dernier. Quelques fois le côté imprévu, inexplicable de la chose fait la réussite des choses.
A Saint-Etienne, il y a eu vraiment deux périodes sur lesquelles j’ai évolué. La première, quand j’étais un jeune joueur, de 66 à 71. Puis la deuxième, quand on a été 4 fois champions de France avec deux doublés et quand on avait éliminé le Bayern. La seconde période de 72 à 76 était lorsque j’étais plus le cadre puisque j’étais le capitaine de l’équipe, avec des jeunes qui avaient gagné la Coupe Gambardella en 1970. La 2ème période, c’est une équipe qui avait évidemment du talent mais pas exceptionnel non plus. Un des exemples serait qu’en 72, il y avait seulement 2-3 internationaux français, et un international argentin qui était arrivé Oswaldo Piazza puis aussi l’international slave Curkovic. Puis il y avait tous les jeunes de Rocheteau à Sarramagna en passant par Lopez qui sont devenus internationaux par la suite mais au début c’était un gros pari que tentait le club, qui a été finalement réussi. L’entente était primordiale entre les jeunes joueurs et les plus expérimentés. La mayonnaise a pris sans qu’on s’aperçoive. Il y avait du respect, de l’ambition, de l’humilité, bref tout était réuni ! A ce moment-là, ce n’était pas explicable la réussite de la vie en collectivité. Par la suite, je pense que les équipes qui ont suivi étaient plus talentueuses avec Platini, Johnny Rep mais elles n’ont pas eu de résultats. C’est bien la preuve que dans le football, dans un sport collectif il n’y a pas que le talent individuel qui compte. Il est primordial, il est indispensable mais il y a autre chose.
Qu’est-ce qui manque à l’équipe actuelle ?
Il manque à peu près tout. Je pense qu’à force de mal travailler et d’enchaîner les erreurs, le maillot et de l’écusson, ça ne suffit pas. A partir du moment où on a ce genre d’attitude et qu’on se refuge derrière le maillot mythique et l’écusson mythique… Alors que, les concurrents travaillent, se remettent en question, bossent bien, ils ont des idées et ils les appliquent. A force, on prend le mur en pleine face, ce qui est le cas aujourd’hui avec des mercatos, des périodes de recrutement catastrophique, que ce soit l’été ou l’hiver. Depuis 4 ou 5 mercatos, il n’y a personne. Alors que, dans le même temps, les jeunes ont gagné la Gambardella (NDLR : victoire en 2019) et ne sont pas promus ! Quand on travaille mal pendant des années et qu’on fait les choses à l’envers à cause d’une direction qui ne sait pas diriger, même avec toute la bonne volonté des uns et des autres, à un moment, ce n’est plus possible. On met cela bout à bout et à la sortie, l’ASSE est dans le wagon de Ligue 2. Le contraire justement serait vraiment incroyable. Quand on travaille mal, on est sanctionné.
Quel est votre meilleur souvenir de votre carrière de joueur ?
La Coupe de France est particulière pour moi. Quand, j’étais enfant c’était ma compétition favorite puisque je suis allé avec mon père pour la finale à Colon car je n’étais pas un mauvais élève. Lors de cette journée, y avait la finale de la Coupe de France, de la Coupe des cadets et de la Coupe Gambardella. C’était toute une journée de finale de football français. Alors, la Coupe de France représentait pour moi une fête assez incroyable. Quand j’ai gagné la finale de Coupe de France et j’en étais capitaine, évidemment cela a été un de mes grands souvenirs.
Quel est l’attaquant le plus coriace que vous avez rencontré ?
Celui qui nous avait fait le plus de mal était un attaquant luxembourgeois qui s’appelait Nico Braun qui jouait au FC Metz. Il nous avait mis 3 ou 4 buts en 1974.
Qu’est-ce qui vous a conduit à votre reconversion en commentateur sportif ?
C’est le hasard, le président de RTL m’avait laissé entendre que le travail de commentateur sportif me conviendrait bien. Je n’en avais aucune idée, j’avais fait mon professorat d’Education Physique ce qui n’avait vraiment rien à avoir avec une formation de journaliste. Il m’a mis le pied à l’étrier sur une télévision qui s’appelle Antenne 2, dans le même temps je suis rentré chez Hachette dans un mensuel qui s’appelait Onze à l’époque. Cela s’est fait, tranquillement, par ailleurs dans le même temps, j’ai monté mes stages de football. Finalement, mon activité se résumé à ma reconversion dans le journaliste tout en faisant des stages de football.
Comment s’est fait votre rencontre avec Thierry Roland ?
Je le connaissais déjà quand je jouais à Saint-Etienne, le club phare ; les journalistes parisiens descendaient de temps en temps à Saint-Etienne pour nous suivre. C’était l’époque de Thierry Roland, d’Eugène Saccomano, les pionniers du reportage sportif avec RTL, Europe 1, Jacques Vendroux pour France Inter. Il y avait une petite douzaine de journalistes qui descendait à Saint-Etienne dont Thierry Roland. Les rapports entre les joueurs et les journalistes à l’époque étaient beaucoup plus simples.
Quelle a été votre émotion après que Thierry Roland a eu dit en finale de la Coupe du Monde 98 « après avoir vu ça, je crois qu’on peut mourir tranquille, enfin le plus tard possible » ?
C’est une des phrases mythiques qui prouve que ce qui n’est pas préparé est plus puissant, beaucoup plus fort, que les différentes statistiques et données du match. Selon moi, on ne se rappelle d’aucune statistique ou d’informations que délivrent les journalistes, parce que cela intéresse moyennement les téléspectateurs. On se rappelle en priorité des phrases qui sortent du cœur et qui sont parlantes au téléspectateur ou à l’auditeur. Justement, c’est ce qui manque aujourd’hui. Parmi les phrases mythiques, il y a également Thierry Gilardi qui avait sorti la phrase légendaire en finale de Coupe du Monde 2006 suite au coup de tête de Zidane « Oh non, pas ça Zinedine, pas maintenant, pas après tout ce que tu as fait ». Ce sont ces phrases-là qui sortent beaucoup plus que les possessions de balle ou d’autres statistiques… Aujourd’hui, ils ne transmettent pas tellement l’émotion qui doit ressortir d’un match. Un match de football c’est une pièce de théâtre, il doit y avoir de la dramaturgie.
Quelle a été la meilleure performance d’une équipe en Coupe du Monde selon vous ?
La plus belle Coupe du Monde que j’ai pu suivre, en plus la première avec de la mondovision, est celle de 1970 au Mexique. Peut-être que c’était grâce aux équipes mais aussi du fait qu’on était à plus de 2000 mètres d’altitudes ce qui pouvait présenter des avantages : le ballon allait plus vite, les courses sont plus difficiles donc il y a davantage d’espaces. Pour moi c’est la Coupe du Monde la plus mythique et légendaire avec une demi-finale entre l’Italie et L’Allemagne extraordinaire, puis la finale Brésil-Italie était également exceptionnelle. Pour moi, c’est le plus grand souvenir de Coupe du Monde.
Quelle a été la meilleure performance d’un joueur en Coupe du Monde selon vous ?
Ce serait Zidane contre le Brésil en 2006, son match est la perfection, elle incarnait tout ce qui doit être fait sur un terrain, tout ce qui étonne, enthousiasme le spectateur. Il y avait en même temps de la créativité, du génie, de la surprise, de l’étonnement et de l’efficacité.
Selon vous, comment le foot a évolué depuis la fin de votre carrière de footballeur ?
J’ai toujours eu l’habitude de dire que j’ai commenté un sport que je n’ai pas pratiqué car cela va beaucoup plus vite, les joueurs sont beaucoup plus puissants. Je pense que techniquement à part quelques joueurs, il y a beaucoup trop de déficit. C’est un secteur que plus personne ne travaille puisque c’est le plus ardu et qui demande beaucoup de travail pour peu de résultats. On voit aujourd’hui que les règles sont les mêmes en revanche le taux de réussite sur les coups de pieds arrêtés est catastrophique. Comme le disait Platini, l’important n’est pas de courir vite et longtemps, l’important c’est de maîtriser le ballon pour l’utiliser tout de suite et bien. Tout ça ne se travaille pas forcément. Par exemple sur les coups francs directs, l’époque des joueurs comme Platini ou Juninho est révolu. Aujourd’hui personne n’est pas un grand spécialiste des coups de pieds arrêtés à part Messi. Par exemple, Cristiano Ronaldo qui avait essayé 30 ou 35 coups francs directs, n’en avait pas mis un seul. Je pense qu’aujourd’hui que certains joueurs ont de gros problèmes avec le ballon, ce qui est embêtant pour un footballeur.
Comment le métier de consultant a évolué ?
J’étais le premier dans le football ce qui était un peu compliqué au début car je ne pouvais pas me positionner par rapport aux attentes. Le métier de consultant joue un rôle de pédagogue, c’est-à-dire qu’il ne s’adresse pas à seulement à ceux qui connaissent le football. Par exemple, si un joueur manque de contrôle, il ne faut pas utiliser un langage qui fait que les joueurs ne sont jamais fautifs. Le consultant doit expliquer à ceux qui connaissent moins le football, pourquoi on réussit un geste, pourquoi on échoue, pourquoi le joueur a pris une bonne décision, a fait un déplacement utile, expliquer, expliquer. Alors qu’aujourd’hui, je n’ai pas l’impression que les consultants aient ce côté d’expliquer. Toutes ces choses-là m’interpellent un petit peu, c’est peut-être la nouvelle génération. En tout cas j’apprécie quand on m’explique, par exemple si je regarde du judo, j’ai besoin qu’on m’explique les décisions et les règles, pareil pour l’escrime.
Qu’est ce qui a manqué à l’équipe de France pour remporter cette finale de Coupe du Monde 2022 ?
Tout d’abord, dans ce débat-ci, il aurait fallu déjà faire un bon match pour gagner la finale. Par exemple quand j’ai perdu la finale contre le Bayern, on avait fait un bon match et on l’a perdu 1 à 0. Pour gagner, il faut premièrement réussir une finale. Quand on est supporter de football, on ne peut pas espérer de gagner une finale en ne jouant pas pendant 80 minutes, comme on l’a fait contre l’Argentine. Le football peut te permettre à un moment à un autre d’imaginer l’impossible. Je pense justement que ce sont les 80 minutes les plus mauvaises de l’équipe de France de ces dernières années. En fait, il a tout manqué, la qualité d’engagement, la cohésion, l’agressivité dans le bon sens, la qualité technique pendant 80 minutes ! La vérité c’est qu’il a tout manqué pendant 80 minutes. La preuve, Deschamps a commencé à faire des changements au bout de 45 minutes, ce qui n’est pas à son habitude. L’équipe était au fond du trou.
Comment s’est passé votre dernier match au Variétés Club de France avec le président de la République ?
Ce n’était pas un dernier match, c’était une apparition car j’ai joué 5 minutes, j’ai eu un petit accident avant. J’ai fait acte de présence, c’était anecdotique.
Que pensez-vous du niveau footballistique de notre président ?
Il a une marge de progression intéressante.
Comment s’organisent vos activités ?
Je travaille sur RMC et j’organise des stages à Saint-Jean-de-Luz au Pays Basque, pour des personnes de 8 ans à 17 ans et il y a du monde.
Merci Monsieur Larqué !