« Cela prend évidemment du temps de se forger un mental et un caractère. », Guillaume Ruel détenteur du record français des 100 km, nous raconte les différents aspects de la course à pied

Guillaume Ruel est un athlète français né le 12 novembre 1997 à Valognes, spécialisé dans les courses de fond, d’ultrafond et détenteur du record d’Europe sur 50 km.

Comment est venue votre passion pour la course à pied ?

Ma passion pour la course à pied a démarré assez jeune. En cours d’EPS, nous pratiquions la course à pied et des sports d’endurances comme le cross. C’est un sport individuel, de plein air et c’est quelque-chose qui m’a rapidement plu.

Avez-vous eu des inspirations ou des idoles de la course à pied dans votre jeunesse ?

Oui j’avais des inspirations mais pas quand j’ai commencé car je n’y connaissais rien et je n’étais pas au courant de certaines compétitions. Avec le temps, j’ai eu comme inspirations, des athlètes modèles. Très rapidement j’ai banalisé les athlètes qui étaient mes idoles car je voulais un jour ou l’autre arriver à leur niveau. Il ne fallait pas faire de ces athlètes-là des intouchables puisque mon but c’était de courir un jour à leurs côtés.

Comment se passe votre préparation avant une grande compétition ?

En général, les cycles de préparation durent environ 6 mois. Il y a un début de préparation assez léger en termes de quantité, on va miser plutôt sur la qualité, je prépare des distances progressivement en préparent des cycles de préparation de 1 à 2 mois et je concrétise cela avec une compétition avec un dossard. Par exemple, au début cela va être un 10km, après un semi-marathon, un ou plusieurs marathons pour ensuite arriver sur l’échéance principale de la programmation, c’est-à-dire à l’heure actuelle les 100 km. On essaie de miser sur beaucoup de qualité : c’est-à-dire plutôt sur la vitesse avec une très forte intensité. Donc au fur et à mesure, on va miser sur la quantité, par exemple, au début, on va tourner autour des 120 et 150 km par semaine alors qu’à la fin, on va tourner plutôt vers les 250-300 km. Mais je perds en qualité pour gagner en quantité. On essaie de travailler tous les axes différents : les filières énergétiques différentes, les sols différents, cela reste de la course à pied mais c’est assez varié.

Quel sport pratiquez-vous à côté de la course à pied ?

On va dire que 70% de mon entraînement consiste en de la course à pied. Il y a environ 10% à peu près de mobilité, d’étirements, d’assouplissements pour éviter tout ce qui est blessures. Ensuite, il y a 10% qui consiste à la préparation physique avec le travail de pliométrie, de pied, de gamme et également du travail de musculation. Ensuite le dernier 10% d’entraiment est axé sur du vélo, du Home Trainer, de temps à autre mais cela m’arrive moins souvent de l’aqua jogging, c’est-à-dire courir en piscine.

Avez-vous un régime alimentaire particulier pendant la préparation ?

Non, je n’ai pas forcément de régime alimentaire particulier puisque je fais entre 4 et 6 heures de sport par jour donc j’ai une dépense énergétique assez importante. L’équation à résoudre consiste à avoir assez d’apports alimentaires que ce soit en macronutriments ou macro-nutrition pour combler les pertes que j’ai sur la journée et reconstituer tout ce que je peux perdre. J’axe quand même une bonne partie de l’alimentation sur une bonne hydratation et une bonne alimentation donc en quantité et qualité suffisante. Cela veut dire que ce ne va pas être des aliments riches en graisse mais qui vont plutôt donner l’énergie nécessaire. A l’amorce de la compétition principale, je fais en sorte d’adopter un régime alimentaire spécial pour éviter tout ce qui est problèmes digestifs pendant l’épreuve. J’essaie d’éviter tout ce qui est fibre en général pour éviter d’avoir des problèmes de transit le jour de l’épreuve puis d’adopter un protocole de ravitaillement et d’hydratation en corrélation avec l’épreuve. Par exemple, pour un 10 km, je n’ai pas forcément besoin de manger ou de boire alors que pour une épreuve à 100 km, il y a une stratégie de ravitaillement à mettre en place.

Depuis le début de votre carrière sportive dans la course à pied, avez-vous adapté différentes techniques ?

Pour le travail sur la foulée, cela passe par du travail pliométrique, de gamme et de placement. Au début, on a tous une foulée un peu différente et le but c’est de la travailler pour avoir une foulée assez spécifique à la discipline qu’on prépare. Par exemple pour un 100 km, on ne va pas monter les genoux pour ne pas se fatiguer trop vite. C’est vrai qu’au fur et à mesure des années, notre course évolue et l’objectif c’est d’avoir une économie de course, c’est-à-dire consommer moins d’énergie et d’oxygène pour qu’on ait la même vitesse en ayant la même foulée. Entre mes premières vidéos où mes parents me filmaient et ma foulée actuelle, il n’y a vraiment rien à voir. J’ai grandi, j’ai pris en musculature et ça a changé. C’est vraiment un travail de longue haleine pour modifier sa foulée et changer sa technique de course.

Selon vous, quelle est l’importance de l’aspect mental dans la course à pied ?

Je pense que c’est primordial. Je suis entouré d’un préparateur mental dans l’agglomération caennaise qui me suit depuis 3 ans. Je pense que cela a une part importante puisqu’il faut vraiment trouver la motivation et la ressource pour s’entrainer au quotidien pour le jour J. C’est vrai que c’est un sport avec des distances qui varient entre 2 heures et 6 heures d’effort et où on va avoir vraiment beaucoup de pensées qui traversent l’esprit ; alors que pour un 100 mètres, vu que le temps d’effort est de 10 secondes, il n’y a aucune pensée qui traverse l’esprit. Sur des efforts d’endurances, il y a beaucoup de pensées qui peuvent être néfastes. Elles peuvent aussi nous permettre de nous dépasser physiquement car nous pouvons faire des distances et des temps qu’on ne pensait pas imaginable. C’est vraiment un levier de performance qui est très important dans le résultat final. Lorsqu’on fait des courses de 800 mètres qui durent quelques minutes, le physique est très important et le mental un peu moins. Alors qu’avec les disciplines avec un temps d’effort beaucoup plus long, le mental prend une place beaucoup plus importante. Il faut entraîner le physique, c’est palpable mais il ne faut pas négliger non plus la part du mental. Cela prend évidemment du temps de se forger un mental et un caractère.

Quelle est la différence dans l’importance du mental entre un marathon et une course à 100km ?

Sur une course comme un marathon, on est en facilité jusqu’au 35ème kilomètre puis on va être en difficulté jusqu’à l’arrivée. Cela va devenir vraiment compliqué à ce moment-là, c’est-là où il faut se mobiliser et passer la douleur? la souffrance et arriver jusqu’à la ligne d’arrivée. Elle va durer de 5 à 7km. Alors que sur une course de 100km, cette sensation-là, nous allons l’avoir vers le 60ème kilomètre, et elle va durer 40 kilomètres. C’est beaucoup plus important de travailler son mental pour des distances très longues comme le 100km puisque pendant 40 kilomètres on peut penser à beaucoup de choses comme l’envie d’arrêter ou de ralentir. Sur un marathon, c’est plus facile puisqu’il reste seulement 20 à 30 minutes à tenir. Alors que sur un 100km, on a quand même jusqu’à 2 à 3 heures d’effort. C’est-là qu’il faut vraiment être bon et bien gérer la souffrance et avoir un mental à toutes épreuves.

Avez-vous vu une différence entre les méthodes d’entrainement en France et au Japon ?

Lors de la course au Japon, j’ai été obligé d’arrêter au 70ème km puisque les conditions étaient assez extrêmes (il faisait plus de 36 degrés) et finalement presque tout le monde a abandonné . Sinon avec la petite expérience que j’ai au Japon ou en Afrique du Sud et après avoir côtoyé des athlètes des pays de l’Est de l’Europe j’ai pu me rendre compte qu’il y a différentes méthodes d’entrainement pour arriver à un même résultat. En France par exemple, on est beaucoup à l’écoute de ces sensations. Je m’inspire justement beaucoup de ce qu’on fait au Japon. Justement au Japon, les athlètes ne craignent pas d’aller vraiment dans l’effort et dans une souffrance qui peut être assez extrême. Alors qu’en France, on ne la tolére pas forcément. J’ai envie de dire qu’en France, on se repose plutôt sur des acquis et on essaie de ne pas se mettre trop en difficulté. Alors qu’avec les autres méthodes d’entrainement au Japon ou au Kenya, on essaie un peu de se challenger tous les jours. Quand le jour J arrive, ces athlètes sont vraiment très préparés puisqu’ils n’ont pas peur de la souffrance et savent comment la gérer.

Quels sont vos meilleurs moments dans votre carrière ?

Pour l’instant, cela reste forcément les meilleurs résultats à la fois chronométrique et en termes de classement. Par exemple, lors mon record d’Europe en Afrique du Sud, je n’étais pas du tout favori pour la course et ni pour battre le record d’Europe. C’était un chrono que j’avais déjà en tête mais je ne m’imaginais pas à le réaliser. Forcément, le fait de battre le record d’Europe m’a un peu mis en lumière. Ensuite les épreuves qui marquent forcément un athlète est la sélection en équipe Nationale et représenter son pays en championnat d’Europe et championnat du Monde est un peu ce qui se fait le mieux, c’est un peu le Graal comme les Jeux Olympiques. Un de mes meilleurs moments restera celui de l’année dernière avec les championnats du monde où j’ai pu finir 5ème. J’ai effectué 80km en tête de course tout seul et j’ai pu battre le record de France à la même occasion. Puis, j’ai aidé le collectif national à obtenir la deuxième place dans les championnats du monde par équipe. Ces événements-ci sont un peu une des raisons pourquoi on s’entraine au quotidien.

Quelle a été votre émotion lorsque vous avez battu le record des 50kms en Europe ?

C’était beaucoup de satisfaction et de joie sur le moment donné. J’avais beaucoup de chance car mon frère m’avait accompagné en Afrique du Sud pour me voir courir. La satisfaction est un court instant personnel car j’ai une personnalité qui fait que j’ai envie de chercher encore plus. En revanche ce qui est le plus satisfaisant, c’est de voir l’entourage proche très heureux qui en arrive même aux larmes d’émotions. Je pense que c’est encore plus génial de rendre fier ma famille, mes proches mais aussi mes entraineurs qui se donnent au quotidien pour me faire une planification au millimètre près pour que je sois dans les meilleures conditions possibles. C’est un peu un plaisir partagé. Même si c’est un sport individuel, la satisfaction se partage en équipe et en famille.

Est-ce qu’il y a une différence dans l’organisation d’une course au Japon et en France ?

Oui, je dirais même que l’Afrique du Sud la course à pied est encore plus professionnalisée qu’au Japon. En France, il n’y a pas de circuit professionnel sur les courses longues distances. Il n’y a pas beaucoup de marathons reconnus à l’international à part celui de Paris ; il y a très peu d’athlètes qui en vivent et qui en font leur métier. En Afrique du Sud, tous les coureurs élites sont professionnels puisqu’ils ont une autre vision du sport puisque pour eux cela véhicule des valeurs. Les athlètes sont même embauchés par des entreprises pour revendiquer des valeurs auprès des employés de ces sociétés. Je pense qu’en France, on aime plus le sport loisir que le sport performance. Dès le plus jeune âge, on ne nous pousse pas forcément vers la performance. L’organisation est aussi beaucoup plus professionnalisée où la course est même diffusée sur des canaux type Eurosport ou la chaine l’équipe. A mon avis, on n’est pas prêt de voir une course de 100km diffusés sur la chaîne l’Equipe et Eurosport parce que ce n’est pas trop démocratisé. Alors que dans ces pays-là, c’est super bien organisé, par exemple au Japon, on était quasiment 1500 à y participer et en Afrique du Sud, ils sont entre 30 000 et 35 000 à participer à des courses de 90 km. Par exemple, pour les championnats de France, il y a entre 200 et 300 participants ce qui reste très intimiste. En Afrique du Sud, c’est vraiment des sociétés événementiels professionnels qui organisent la course.

Quels sont vos objectifs pour les prochains mois ?

Après le Japon, j’ai fait une période de repos. Juste après le cycle de 6 mois passé, il y a vraiment 2 à 3 semaines où on se repose vraiment et on varie les plaisirs qui font du bien mentalement pour ensuite se replonger dans une autre programmation. En fin d’année, l’objectif serait de battre mon record de marathon qui est à 2h15. Puis en tout début d’année prochaine, j’essayerais de recourir sur 100 km mais ce n’est pas encore défini où et quand. Il y aura d’autres 100 km pour essayer de battre mon record de France et de battre le record du monde éventuellement. Puis en 2024, il y aura les championnats du monde ce qui restera forcément un des objectifs majeurs de la saison. En tout cas, je n’ai pas encore les dates ni le lieu pour ces échéances-là puisque cela n’a pas été communiqués officiellement. En tout cas, à court-terme et à long-terme, c’est-à-dire jusqu’à au moins mes 30 ans, l’idée c’est de rester sur ces distances-là et de faire mon mieux possible et obtenir les meilleures places possibles sur les championnats du monde et les championnats d’Europe. Puis, avoir en ligne de mire d’améliorer toujours mes records personnels et de faire les meilleures places possible tout en prenant du plaisir.

Est-ce que vous avez identifié des pays dans lesquels vous voulez faire des futures courses ?

Pas forcément, cela va dépendre des opportunités qui se présentent. Pour l’instant, je suis tombé en admiration avec le Kenya puisque j’aime beaucoup le mode de vie local, la mentalité des athlètes, il y a énormément de coureurs en place. Puis c’est pareil avec le Japon où je serais amené à retourner puisque c’est une culture que j’aime bien et qui m’inspire beaucoup. Je ne veux pas me fermer les portes, si une possibilité se présente comme par exemple aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud, je pourrais y aller pour allier l’aspect de la compétition et de la découverte. Ce qui est super, c’est qu’au Japon j’ai passé 10 jours, même si le résultat sportif n’est pas celui que j’aurais voulu, c’est quand même une découverte d’un pays, d’un peuple et de pleins de choses. Finalement, voyager grâce au sport est une sacrée chance aussi.